Pierre-Alain et Anne Poujol

 

En venant de Florac, juste avant d’arriver à Vébron, connu pour son festival du film, on traverse Salgas. C’est dans ce village de vallée cévenole, où coule le Tarnon, que Pierre-Alain et Anne sont installés, en contrebas du Château des descendants du Baron de Salgas.

De Los Angelès à Salgas

La famille paternelle de Pierre-Alain est originaire de Vébron où il venait en vacance dans la maison familiale. Mais jusqu’à 16 ans, Pierre Alain a vécu à Los Angeles puis à New York où son père était professeur d’université. Le mal du pays et la crainte d’une américanisation définitive des enfants ont ramené la famille à Paris. Anne, d’origine bretonne, de son côté, vivait aussi à Paris pour ses études et c’est là qu’ils se sont rencontrés. Pierre-Alain, intéressé par l’élevage, a fait plusieurs stages, dont le dernier avec Anne sur une exploitation caprine vers Carcassonne. Petit à petit, l’idée de s’installer dans les Cévennes pour élever des chèvres sur les terres familiales a fait son chemin.

En 1979, ils s’installent à Vébron, dans une maison de famille permettant aussi de loger 16 chèvres Alpines qui passeront en 3 ans à 37, l’effectif toujours actuel. Les 3 hectares de prairie en bord de rivière permettent de récolter leur foin, d’abord avec un motoculteur que viendra remplacer un Pony Massey Ferguson puis le Super 5 Renault, achetés d’occasion. Les chèvres pâturent librement sur les 32 hectares de parcours non clôturées et débordent largement jusqu’à monter sur le Causse où il faut parfois aller les chercher. Maintenant, pour s’éviter ces longues recherches et les protéger des chiens errants, Pierre-Alain préfère les garder. En 1984, un bâtiment est auto-construit pour abriter la chèvrerie, la grange, l’atelier de transformation et le hangar à matériel. Pour autant la traite, de mi-février à décembre, se fait toujours à la main. Les 3 premières années, Pierre-Alain a suivi une formation agricole un jour par semaine en hiver, pendant qu’Anne, sur la même période, accompagnait des groupes féminins pour le Centre de Formation. L’accueil dans le village a été bienveillant mais avec une pointe de scepticisme : « passeront-ils le premier hiver ? »… depuis, il en est passé 35 !

Producteur Coeur Lozère

Laurent Augier • Vache48

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Des fromages « comme les gens les veulent »

Dès le début, Anne s’est lancée dans la transformation en faisant, tout simplement, une tomme qu’elle avait vue faire lors de leur dernier stage. Anciens parisiens, c’est à Paris qu’ils avaient trouvé un débouché pour leur production, expédiée par transporteur frigorifique. Tout allait bien jusqu’à…la guerre du Golfe !! et ses répercussions jusqu’à Salgas : augmentation du prix du pétrole et donc du prix du transport qui réduit la marge. 

Anne se met alors à remplacer progressivement sa tomme par un pélardon qu’elle appellera « fromage fermier, pur chèvre » quand viendra la reconnaissance en AOP du pélardon avec son cahier des charges. Celui-ci est largement respecté pour l’élevage des chèvres mais elle ne voulait pas les contraintes pour la fabrication, en particulier la durée d’affinage de 11 jours minimum car pour Anne, l’affinage, c’est « comme les gens les veulent ». Il se trouve, du reste, que leurs fromages les plus appréciés sont des fromages de 1 jour réclamés par le supermarché, des fromages bien crémeux de 4 ou 5 jours ou encore des fromages de 3 à 4 mois sur lesquels elle cultive, par un ensemencement naturel, un bleu exceptionnel de la croûte. Les étiquettes, dessinées par un ami égyptien, ajoutent à l’originalité en conférant à la tête de chèvre un port de reine Néfertiti. La production s’écoule facilement dans quelques points de vente de la région ou directement à la ferme pour les habitués.

De l’agro-écologie avant l’heure

Un jour, une classe d’élèves-ingénieurs est venue en visite. Ils sont repartis assez vite, avec une certaine condescendance, car habitués à analyser « une grosse exploitation avec des grosses parcelles travaillées avec du gros matériel pour nourrir un gros troupeau qui produit un gros chiffre d’affaire au prix d’un gros endettement…». Ce faisant, ils sont passés à côté de la petite prairie le long de la rivière qui procure suffisamment de bon foin avec seulement du fumier pour un petit troupeau de chèvres qui produisent une petite quantité d’un lait exceptionnel. Ils n’ont pas vu le petit Super 5 Renault de 50 ans, qui, bien entretenu, tourne comme une montre. Ils n’ont pas fait attention à la fonctionnalité simple du petit bâtiment construit par Pierre-Alain et dans lequel le bien-être animal n’est pas qu’un simple concept. Ils n’ont pas entendu Anne parler de l’originalité de ses fromages qui lui vaut la reconnaissance de ses clients. Ils n’ont pas écouté Pierre-Alain parler du bon temps passé, en compagnie de Kébra, son fidèle Berger des Pyrénées, à garder le troupeau sur les contreforts pentus et boisés du Causse Méjean qu’il contribue ainsi à entretenir…

A l’heure où l’agriculture familiale est à nouveau reconnue pour sa capacité à produire en faisant vivre dignement des paysans dans un territoire où qu’il soit et où l’on parle beaucoup d’agro-écologie pour l’agriculture de demain, il serait bon qu’une nouvelle classe d’élèves-ingénieurs revienne en visite. Ils auront vite fait le tour de la petite exploitation mais qu’ils prennent le temps d’écouter Anne et Pierre-Alain raconter.

* Extrait du Livre « Des femmes & des hommes une histoire de passion » publié en 2015, en vente à Hyper U Coeur Lozère.